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Les contes de la fée mécanique (aperçu)

Le club Thot

Paris, 22 Ventôse 1923

Le soleil filtrait à travers les persiennes de cette fin d’après-midi de mars et réchauffait doucement la méridienne sur laquelle Véronèse était étendu.

Le timbre de la porte d’entrée retentit sans qu’il daigne lever les yeux de l’ouvrage qu’il étudiait. Une clef grignota dans la serrure et la porte s’ouvrit.

Une brise fit voltiger les pages du livre et chatouilla le nez de son lecteur qui éternua et fit une moue très contrariée.

- Sarabeth, ce ne sont pas des manières !

La jeune femme se tenait maintenant devant lui malicieuse, les boucles de sa chevelure voltigeant autour de son visage.

- Oh voyons Véronèse, si tu n’étais pas aussi ronchon ! et elle se pencha le souleva dans ses bras et gratouilla la laine entre ses cornes d’un air ravi.

- JE NE SUIS PAS UNE PELUCHE ! éructa-t-il en la repoussant de ses sabots.

Sauf que lorsque l’on mesure la taille d’un chien jack russell et bien qu’une fée des vents soit plutôt menue, on ne fait pas le poids. Le petit bélier dut donc subir le câlin de la demoiselle.

Lorsqu’elle le reposa sur la méridienne il avait l’air plus vexé que jamais.

- C’était ta punition pour ne pas m’avoir ouvert la porte ! Il faut être poli envers ses invités, le menaça-t-elle d’un index fuselé et d’un sourire en coin.

- Pas assez grand, grommela-t-il renfrogné.

- Et par magie ?

- La magie est un art noble, en user pour ouvrir une porte est un avilissement intolérable !

- Pfff… tu es trop paresseux voilà tout ! Allons, je te laisse à tes ruminations ; Hortense est dans l’atelier n’est-ce pas ?

Il inclina la tête rapidement et se replongea dans sa lecture si brutalement interrompue tandis que la fée quittait la pièce de son pas dansant.

Véronèse était le résultat d’une expérience magique ratée. On ne savait pas exactement ce que le mage voulait obtenir à la base puisqu’il avait perdu la tête à la suite de l’opération. Toujours est-il que l’agneau qu’il avait choisi était resté nain, doté de la parole et avec quelques facultés magiques. Certaines mauvaises langues insinuaient que son créateur avait voulu faire de la magie noire voire rendre un culte à Lucifer pour retrouver une jeunesse envolée. Du coup beaucoup craignaient la créature et auraient souhaité s’en débarrasser, ce qui n’avait pas amélioré le caractère de la-dite créature devenue misanthrope. Une seule personne échappait à sa vindicte : Hortense une jeune fée quelque peu mise au ban de la société magique, qui en plus de lui offrir un toit, lui avait témoigné du respect et offert son amitié. Il y a toujours une exception à la règle.

Hortense remettait en place le ressort d’une montre avec une pince et plissait les yeux derrière une paire de lunettes aux verres grossissants qui lui donnaient l’air d’une grenouille.

- Assieds-toi Sarabeth, fais juste attention à ne pas déplacer des vis avec tes courants d’air.

Elle se jucha sur un haut tabouret s’accouda sur l’établi et plaçant sa tête dans ses mains regarda son amie travailler.

Ce qui était fascinant c’est la façon dont les ressorts et engrenages s’emboitaient, tournaient, semblant prendre vie presque, dès qu’Hortense les prenait. Il y avait un côté hypnotique dans le ballet de ses gestes et les scintillements du laiton des pièces d’horlogerie y participaient.

- Là, c’est réparé ! dit-elle en refermant le couvercle de verre du boitier.

Quelle idée aussi de vouloir réparer avec des pièces d’acier un mécanisme féérique ! Encore un travail de farfadet !

Sarabeth pouffa. Avec un clin d'œil elle agita sous le nez de son amie un billet.

- Ça c'est pour te distraire de tes rouages et de tes ressorts; ce soir je chante dans "Le chevalier à la rose" à l'opéra. C'est une place dans une baignoire et quasiment en face !

- Oh merci ! Tu me gâtes trop !

- Tu pourras peut-être dégoter un ou deux jeunes hommes avec qui nous irons danser ensuite ?!

Clin d'œil appuyé de la cantatrice qui amena à l'hilarité des deux amies.

La jeune femme blonde s'assit et tordit machinalement ses gants entre ses doigts. Elle était un peu nerveuse mais surtout particulièrement déçue. L'endroit ne ressemblait pas à ce qu'elle attendait. Elle venait consulter un cartomancien, logiquement il y aurait dû y avoir une atmosphère mystérieuse avec de riches tentures damassées, des bougies et une odeur d'encens. Au lieu de ça un bureau bibliothèque en bois clair moderne, un tapis couleur jade et un homme jeune en costume et lunettes fines.

- Bien. Revenons à votre demande. En quoi puis-je vous être utile ?

Elle se mordît les lèvres.

- Je ne suis pas sûre de moi, disons que j'ai des doutes. Un objet auquel je tenais a disparu et je voudrais le retrouver. On me l'a volé j'en suis sûre ! mais je n'ai rien qui puisse le prouver pour aller porter plainte.C’est comme s’il s'était volatilisé ! C'est un ami de mon défunt mari qui m'a conseillé de venir vous consulter !

- Oui ?

- Monsieur Ambroise Dessambre.

Le cartomancien ferma brièvement les yeux et sa main droite se crispa. Il inspira et le visage dénué de toute contrariété il répondit :

- Donc vous souhaitez retrouver cet objet, le voleur ou les deux?

- Eh bien l'objet avant tout, il s'agit d'un camée offert par ma tante, il a une valeur sentimentale voyez-vous.

Il étala d'un geste ample les cartes sur le feutre marron qui recouvrait la table après les avoir battues rapidement.

- Choisissez trois cartes pour commencer et posez les face visible devant vous.

Elle s'exécuta.

- Tirez encore deux cartes.

Lorsque cela fut fait, l'homme fronça les sourcils.

- C'est une combinaison assez ... Inédite.

Il sembla alors se plonger dans une rêverie qui mit sa cliente mal à l'aise. Puis il sourit et sortit d'un tiroir une feuille et un stylo plume. Il écrivit rapidement quelques lignes puis glissa la lettre dans une enveloppe qu'il cacheta.

- Voilà. Dans ce pli vous trouverez les indications nécessaires pour retrouver votre bijou. Je vous demande de n'ouvrir ceci qu'une fois chez vous.

La femme était stupéfaite.

- Mais ! Vous ne m'avez posé aucune question, comment pouvez-vous savoir ?

- Les cartes parlent pour qui sait les écouter. Rentrez chez vous, mes honoraires sont indiqués en bas de la feuille.

- Comment êtes-vous sûr que je vous paierai ?

Il eût un sourire sibyllin.

- Vous me paierez, je n'ai aucun doute à ce sujet.

Et lui serrant la main il la reconduisit sur le palier.

La dame rentrée chez elle ouvrît l'enveloppe et lut : votre camée vous a été dérobé par un familier qui l'a caché dans une cachette qu'il affectionne. Elle fronça les sourcils, tout cela n'avait aucun sens elle n'avait reçu personne chez elle avant que son bijou ne disparaisse. Il n'y avait eu aucune trace d'effraction et elle n'avait pas les moyens de payer du personnel. Ce type était un charlatan. Il ferait beau voir qu'elle le rémunère pour son tour de passe-passe.

Elle continua à lire d'un air dédaigneux : allez donc inspecter la cage de votre perroquet vous risquez d'y faire une découverte intéressante.

Ses yeux s'écarquillèrent et elle marcha d'un pas mécanique vers la grande cage qu'elle ouvrît. Le volatile pensant recevoir une friandise inclina la tête et la regarda d'un œil rond et intrigué. Sa maîtresse retournait avec ardeur des poignées de paille et alla jusqu'à, ô horreur, démantibuler son précieux nid. Il poussa un croassement outragé alors même que la vandale brandissant son butin proclamait sa joie.

Elle referma la porte subitement et le mandat qu'elle porta au bureau de poste dans l'heure qui suivit ne suscitèrent pas le moindre intérêt de la part de l'oiseau vexé et plein d'incompréhension devant un tel saccage.

Dans la pharmacie de la rue Vivienne, les globes électriques projetaient des lueurs dorées jusque sur l’asphalte mouillé de la rue. Une petite pluie froide et insistante faisait presser le pas aux passants qui se recroquevillaient sous leurs parapluies. La porte grinça et le préparateur derrière son comptoir de bois verni leva les yeux.L’homme qui venait de franchir le seuil était grand, blond aux yeux vert pâle et des pommettes hautes qui lui donnaient l’air un peu slave. Sa taille fine était marquée par l’imperméable sombre qu'il portait et accentué par son chapeau de feutre qui le rehaussait. Ses lunettes à fine monture dorée étaient rayées de gouttes de pluie.

- Bonsoir Marcel ! Ton patron est-il là ? demanda-y-il d'une voix affable.

- Bonsoir ! Oui monsieur Liancourt il est dans l’arrière boutique .

- Merci. Et il franchit la porte du fond de l'office.

Dans la pièce faiblement éclairée un homme assis devant un bureau d'acajou répondait au téléphone tandis que son visiteur refermait la porte sur lui. La conversation finie il releva la tête et sourit et fit signe à son vis-à-vis de s'asseoir.

- Soit le bienvenu Maxence ! J'ai une surprise pour toi.

- Dans le genre de celle que tu m’ envoyé ce matin ?

Le ton était acide.

- Je te demande pardon ? fit le pharmacien interloqué.

- Madame Carreyrou. Couturière, jeune, pas mal de sa personne, veuve. Dont tu as hypnotisé le perroquet pour qu'il dissimule son camée. Histoire de pouvoir te faire mousser par tes précieux conseils. Et la séduire à peu de frais.

- Mais elle est charmante ! répondit avec un grand sourire l’intéressé.

- Ambroise. Le ton était sec. Se servir de tes talents à des fins aussi futiles est déjà d'un goût douteux. Vouloir utiliser mes talents dans le même objectif m’insupporte.

- Bah c’était un jeu d'enfant pour toi.

Maxence eût l’air las.

- Je n’ai pas utilisé les cartes pour trouver la solution. Elle venait de ta part, elle est jolie, veuve et tortille ses gants quand elle parle de toi. Pas besoin d'être devin pour comprendre que tu lui as fait du gringue . Pas d'effraction dans sa demeure. Tu as des capacités certaines d'hypnose. Elle porte à son chapeau une plume de perroquet. Aucune modiste n’irait mettre ce genre de plume avec cette forme de chapeau à moins d'avoir de sérieux problèmes de vue. J’en déduis aisément que cette personne possède un perroquet et qu'il ne s'agit pas du délit d'un farfadet car il n’y aurait pas qu'un seul objet disparu. Donc, connaissant ta propension aux blagues malsaines, tu as fait voler à cette bestiole le camée de sa propriétaire.

- Pourquoi aurais-je fait cela ?

- Parce que tu es aussi vaniteux que dragueur et que tu savais que je trouverai la clef de l’énigme. Cela te permet d'espérer de la reconnaissance et de l’estime. Puis il marmonna : et parce que tu sais que je me fiche pas mal de toutes tes conquêtes.

- Tssss. Tu es mesquin , après tout je te fais gagner de l’argent dans une période un peu creuse.

Maxence serra les dents.

- Il ne s'agit pas de cela. D'une part je traite des affaires sérieuses, pas des enfantillages ni des blagues potaches. Je ne veux pas voir débarquer tous les gens qui ont perdu la montre de leur grand-mère. Par ailleurs tu sais à quel point la cartomancie est tenue en mésestime par les autres magiciens . J'ai passé du temps à me construire une réputation de respectabilité. Je ne veux pas avoir à lutter encore avec toute la corporation.

Ambroise leva la main en signe d'apaisement.

- Je suis désolé l’ami, je ne pensais pas te causer du tort avec cette histoire. Je souhaitais juste m’amuser un peu et c'était puéril j’en conviens. Pour me faire pardonner voici la surprise que je t'annonçais tout à l’heure : j'ai deux places pour la première du Chevalier à la rose ce soir à l'opéra. Intéressé ?


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