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Verremoire , chapitre 2

Tout d'abord je tenais à remercier toutes celles et ceux qui ont pris le temps de me lire ! C'est très encourageant et cela m'a permis de rectifier ce qui devait l'être dans le précédent chapitre.

Quelques petits changements de présentation: les liens musicaux ont été placés aux endroits du texte où ils sont sensés se "déclencher".

Voici le second, là encore c'est un texte brut, n'hésitez pas à me faire part de vos impressions !

Bonne lecture :)











La pluie tombait avec opiniâtreté depuis deux heures et mouillait le pavé parisien. Dix heures sonnaient au clocher de l’église St Sulpice, la place était vide à cette heure tardive et le vent froid de mars achevait de faire fuir les derniers passants.

Pourtant, un homme ne semblait pas éprouver de contrariété au vu des intempéries et marchait d’un pas alerte, évitant les flaques d’une allure presque féline. Silhouette fine, trench-coat noir, les cheveux mi-longs brun foncé et la peau un peu pâle il avait des airs de mannequin un peu dédaigneux et ne prenait même pas la peine de s’abriter sous un parapluie.

La fontaine de la place était arrêtée pour la nuit. Pourtant de la gueule d’un des lions de pierre sculpté aux angles de l’édifice se mit à sourdre une sorte d’ombre liquide. Celle-ci semblant douée d’une vie propre rampa hors de l’eau et dégorgeant de la rambarde du bassin sembla se dissoudre dans les interstices des pavés.

Le passant ne la remarqua pas et s’engagea rue Mabillon décidé à rejoindre un lieu plus animé comme le boulevard St Germain. Les cafés et brasseries ne manquaient pas et il comptait y trouver un petit en-cas.

Il allait traverser le boulevard lorsqu’il fronça les sourcils. Il était suivi, il le ressentait. Tout en traversant il baissa légèrement les paupières. Une lueur rougeâtre naquit dans ses prunelles qui pouvait être prise pour le reflet des phares arrière des véhicules à l’arrêt.

Il déglutit, oui il était suivi mais il n’arrivait pas à identifier ce qui le suivait. C’était mauvais, très mauvais. Il accéléra le pas. Est-ce que cela pouvait être un Aqua Vera ?

Non, absurde ! Ils n’auraient pas commis l’imprudence de déclencher des hostilités alors qu’un fragile équilibre régnait depuis près d’un demi-siècle.

Rue de l’Echaudé, il dut jouer des coudes. La pluie avait cessé et touristes et parisiens sortaient des nombreux bars pour boire un verre dans cette petite rue presque piétonne.

Bon sang, cette chose se rapprochait et son aura était d’une noirceur et d’une malignité à faire frémir une statue ! A cause de tous ces gens il ne pouvait pas accélérer plus son pas sous peine de se faire repérer.

Il tourna rue Cardinale et enfin seul se mit à courir à une vitesse incroyable. Soudain il s’effondra, l’ombre avait surgit du caniveau et s’enroulait autour de lui tel un drap mouillé. Tétanisé, il chercha à ramper et à se débattre mais peine perdue. Il n’arrivait plus à bouger. Prévenir… il fallait la prévenir. Ses pupilles flamboyèrent d’un rouge ardent et il lança un message télépathique, tandis que l’ombre recouvrait son cou et que ses veines se teintaient d’une couleur noire. Ses yeux se révulsèrent alors qu’un cri muet franchissait ses lèvres retroussées sur ses crocs.

L’ombre s’étendit et le recouvrit tout entier. Elle sembla prendre de la substance puis comme un ruisseau sembla couler sur le trottoir et s’enfonça au creux des pavés. Du jeune homme il ne restait que de fines cendres grises qui commençaient à se mêler à l’eau noirâtre sur le bitume.

Trois nuits plus tard, une berline bleu nuit s’arrêta rue du Figuier dans le quartier du Marais au numéro onze. Il était une heure du matin, la rue était déserte. Au coin l’hôtel de Sens semblait veiller sur la Seine. Le chauffeur éteignit les lumières de la voiture, il ne restait plus que l’éclairage très discret de l’habitacle. Il se tourna vers sa passagère :

- Vous voici à destination ma dame.

-Très bien Fynn. Je peux en avoir pour longtemps, mais reste vigilant et tiens-toi prêt. Au cas ou…

Il inclina la tête.

Elle sortit du véhicule, et regarda autour d’elle, pupilles écarlates. Puis en un éclair elle fut devant la porte monumentale de l’immeuble. Elle appuya sa fine main sur la serrure et l’on entendit le mécanisme cliqueter. Elle poussa le lourd ventail comme s’il s’était agi d’une étoffe légère et entra. Sous le porche elle parut à l’écoute d’on ne sait quel bruit et s’avança silencieuse. Elle dédaigna les portes qui menaient aux étages et ouvrit une autre porte cochère qui donnait sur un petit jardin. Une maison se dessinait au bout d’une allée. Une lumière brillait au premier étage derrière les rideaux. Un demi-sourire se dessina sur le visage pâle de la femme et s’elle s’avança d’un air décidé vers la demeure.

Le timbre de l’entrée retentit comme un grelot. La porte s’ouvrit sans que personne ne l’actionne, elle franchit le seuil et la porte se referma sans un bruit. Alors la lumière s’alluma, probablement le résultat d’un mécanisme sophistiqué comme pour la porte. Elle leva les yeux sa bouche s’arrondit de surprise.

Le hall était constellé de carreaux de céramique aux motifs floraux dans des tons de bleu et de vert parsemés de petites fleurs rouges auxquels répondait un magnifique et imposant escalier de cèdre . Des pas se firent entendre et un jeune homme apparut descendant les marches d'un pas souple.

De taille moyenne, le teint mat, des cheveux couleur platine et des yeux de cuivre fondu, on lui aurait donné vingt-cinq ans tout au plus mais quelque chose dans son regard rusé laissait entendre qu'il ne fallait pas s'y fier. Un fin et large sourire éclairait son visage et le rendait chaleureux.

- Mieke, j’étais certain que tu serais la première à me rendre visite.

Et dans un geste gracieux il s'inclina et saisissant la main de sa visiteuse y déposa un baiser.

- Cher Antonin.

Elle le serra dans ses bras, puis il l’entraina à sa suite dans l’escalier.

- Il a quand même fallu quelques nuits à Franz pour te localiser.

- Mais Franz est un excellent élément. Lui et son jumeau Fynn sont les meilleurs lieutenants qui se puissent trouver.

- Oui il est probablement le seul vampire hacker au monde ! Il est passionné par les nouvelles technologies, contrairement à la plupart d'entre nous qui ne se reposent que sur leurs pouvoirs psychiques.

- Avec un bel aveuglement dit-il en hochant la tête.

- Je ne regrette vraiment pas mon choix de les avoir pris comme prime-servants.

Antonin sourit intérieurement, c'était lui qui quelques siècles auparavant avait suggéré aux jumeaux de prendre fait et cause pour Mieke. Asservis par un prince vampire sans pitié, torturés à loisir, ils avaient été une pierre angulaire dans le « changement » de dirigeant de cette cour. Mais mieux valait qu'elle l’ignore, il préférait rester l’éminence grise œuvrant en sous-main.

Lorsqu'elle découvrit le premier étage, ce fut un nouvel émerveillement. Le plafond de la pièce était un encorbellement de boiseries finement ouvragées, une véritable dentelle de bois. Les murs écru faisaient ressortir les divans pourpres damassés et les tables basses incrustées de nacre et d’agate. Les tapis étaient si épais qu'elle aurait volontiers enlevé ses ballerines pour en éprouver le moelleux. Un luth de bois clair occupait un fauteuil et un brûle parfum de bronze verdi laissait échapper des volutes de santal. De grands lustres de laiton en forme de couronne portaient comme des perles précieuses une myriade d'ampoules de verre qui diffusaient une lumière tamisée.

Surtout au centre de la pièce la lueur de la lune descendant à travers une verrière illuminait une fontaine de marbre glougloutante entourée de jasmins et de palmiers nains.

- C'est magnifique ! On se croirait à Byzance dans un palais ottoman.

- C'était l'idée.

Elle se tourna vers lui.

- Nostalgique ?

- Pas vraiment, plutôt l’envie de renouer avec un art de vivre absent de ce siècle.

Ils s’assirent face à face dans un canapé après qu'il ait disposé deux verres et une carafe d'un liquide rubis sur la table basse devant eux. Ils trinquèrent.

- Dis-moi maintenant ce qui te préoccupe lui enjoignît-t-il.

Antonin avait un don de perception des humeurs et des pensées d'autrui. Poussé à un niveau supérieur il pouvait littéralement fouiller dans la tête des humains et y trouver les informations dont il avait besoin. Il pouvait aussi implanter des idées et des souvenirs voir rendre fou la personne en question. Avec les vampires c'était plus difficile car nombre d'entre eux avaient l’habitude de dresser des barrières mentales contre ce genre d'intrusion. De toute façon il était rare qu'il recoure à ce genre de procédé, il suffisait d'écouter les gens.

Mieke regarda pensivement son verre et répondît.

- Il y a deux mois un vampire lige des Santo Sospir a disparu. Sur le coup ça n’a pas inquiété grand monde d'autant qu'ils n'aiment guère qu'on vienne mettre le nez dans leurs affaires. Puis de drôles de rumeurs ont couru : on n’aurait retrouvé que quelques cendres. Le suicide étant interdit pour les « pénitents » on a pensé à un assassinat. Certains se sont demandé qui pouvait être derrière ça. Finalement, personne n’avait intérêt à cette disparition. Affaire classée.

Elle fit une pause, sourcils froncés puis reprit.

Il y a trois nuits, Damian un de mes liges s'est fait attaquer. Comme tu le sais c'était morte lune et il cherchait à se sustenter. Il marchait dans le faubourg St Germain quand il a été victime d'une sorte de guet-apens. Il a eu le temps de me contacter et de m’envoyer un message psychique mais je n'ai aucune idée de ce que cela peut être.

- Voudrais tu me le montrer ?

Elle hocha la tête et tendit ses mains. Antonin les saisit et se concentra. Il n’était pas absolument nécessaire de toucher l’autre pour saisir ses pensées mais c'était un petit cérémonial d'acceptation qui avait son importance. Il laissa déborder son pouvoir et ses yeux prirent une teinte dorée. Il vit la scène du meurtre de Damian par l’ombre, la façon dont il avait été englouti et son désespoir.

Il lâcha les mains de la femme et son visage exprima une sourde inquiétude.

- Tu as une idée de ce que cela pouvait être ?

Il soupira.

- Oui hélas. J'espérais ne plus revoir ces choses et les croyais éteintes ou du moins disparues. Damian et le Santo Sospir ont attiré l’attention d'un rimmon. Ce sont des ombres douées de vie, une vie maléfique qui se nourrit de toutes les autres vies pour acquérir de la substance. N'importe quelle ombre peut leur servir de refuge. On les a nommés ainsi en rapport avec un démon de la tempête avatar du dieu assyrien Marduk.

Il se leva bras croisés, le regard dans le vague.

- Je n’en n’ai jamais entendu parler.

- Oui c'était il y a longtemps. Les attaques étaient sporadiques mais on ne vivait pas tranquille, les rimmons semblaient particulièrement intéressés par les formes de vies magiques. Je crois que certaines espèces ont même disparu.

- Ils étaient si nombreux que cela ?

- Non, mais invincibles.

- Pardon ?

- Personne ne sait comment les blesser, ni même les attraper. Il haussa les épaules. Essaye d'attraper une ombre ! Et puis un jour ils ont disparu sans qu'on sache pourquoi et comment. Je me souviens seulement que c'était juste avant 1550 car après il y a eu une sorte de mini ère glaciaire pendant deux siècles et Geoffroy avait longuement spéculé sur la corrélation des deux événements.

- Ah, Geoffroy avait fait des recherches ?

Le ton était poli et mesuré. Il existait des vampires n’appartenant à aucune cour, ils étaient souvent des renégats et ne faisaient pas long feu ; mais certains étaient craints comme le soleil et l’on ne prenait contact avec eux qu'en cas de nécessité absolue. Souvent ils étaient immensément riches, parfois des illuminés où encore des savants fous. Geoffroy faisait partie de la dernière catégorie avec la mention inquiétant en sus. On ne lui connaissait même pas de nom de famille. Mieke savait que son ami connaissait le personnage mais n’aimait pas qu'il y fasse référence. Elle avait eu l’occasion de le croiser et ne s'était pas sentie très à l’aise malgré ses quatre siècles d'existence.

- Oui sans grand résultat hélas. Quoiqu'il en soit si ces choses refont surface c'est mauvais signe. Il va falloir être vigilant. Il se rassit. Je vais lancer Geoffroy sur l’affaire et de mon côté je vais enquêter. Je trouverai une solution, on doit pouvoir venir à bout de ces choses.

Plus tard lorsque la reine rouge fut partie, il resta longtemps immobile à méditer. Bien sûr cela pouvait être un monstre isolé, mais il valait mieux ne pas compter là-dessus. Et pourtant il devrait rester discret ne pas ébruiter ses recherches, de nombreuses cours en particulier celles affiliées aux Aqua Vera et aux Terra Nostra adoreraient tirer profit de la situation. Or même une société aussi séculière et codée que la gente vampirique avait besoin d'équilibre. Antonin tenait à préserver celui-ci et de préférence sans qu'il y ait trop de casse.

Il s'accorda quelques heures de sommeil et se réveilla alors qu'une aube grise et sale se levait sur Paris. Le vampire s'étira avec nonchalance et ouvrit une fenêtre. Il sentait ses pouvoirs disparaître alors que la luminosité croissait, comme s'il entendait le monde extérieur en étant plongé dans l'eau. Pas très agréable, mais à sa connaissance il était le seul vampire vivant au monde à supporter la lumière du jour.

À la réflexion il était même étonnant qu'il n’y ait pas eu d'autres cas. Les vampires existaient depuis la nuit des temps et contrairement aux légendes humaines ils n’étaient en rien des morts vivants. Simplement leur métabolisme était différent, ils étaient liés au cycle de la lune et les nuits où elle était absente (morte lune) et ne les régénérait pas leur organisme et leur instinct réclamait du sang. Les nuits de pleine lune (apogée) leur magie était à son paroxysme. Le soleil détruisait leur organisme et aucun n’envisageait de vivre comme ces enfants humains appelés enfants de la lune derrière des filtres et dans des combinaisons. Ils adoptaient ainsi naturellement un rythme nocturne.

Antonin Veskovi était un vampire très particulier à plus d’un titre et la seconde raison pour laquelle les cours vampires se méfiaient de lui étaient liées au fait qu’il avait ses entrées partout. Même à la nonciature (ambassade vaticane) de Paris où il se rendit dès son ouverture...


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